Lundi 1er et mardi 2 juillet se tenait à Genève une « Conférence régionale » de l’ONU sur la population et le développement. Objectif : faire le point sur les retombées du programme d’actions de la Conférence du Caire de 1994, l’ONU ayant décidé de le prolonger au-delà de 2014 mais sur la base d’une évaluation à mener par l’Assemblée générale des Nations-Unies l’année prochaine. Danielle Bousquet, en tant que Présidente du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, participait, au sein d’une délégation française, aux travaux pour la « région » onusienne composée sur ces questions de l’Europe, de l’Amérique du Nord, de la Russie, de l’Asie Centrale et d’Israël, la région « UNECE ». Voici le discours prononcé par Danielle Bousquet lors de la conférence :
« Le contexte européen et international dans lequel s’inscrit cette conférence et les grandes échéances internationales à venir nous appellent à répondre à l’exigence majeure d’aujourd’hui : les inégalités de genre qui, aux quatre coins du monde, existent partout et persistent de manière structurelle et transversale.
C’est pourquoi, partout dans le monde, et notamment dans le continent qui est le mien, l’Europe, la lutte contre les inégalités doit être une priorité. Je dirais même la priorité, car cette lutte inlassable répond à notre objectif universel d’émancipation de toutes et de tous et est le moteur du développement économique et humain.
En effet, toutes les études montrent que les sociétés les plus inégalitaires obtiennent de moins bons résultats dans toute une série d’indicateurs, qui va de la santé et l’espérance de vie à l’incidence des grossesses chez les adolescentes ou encore la mobilité sociale.
Qui plus est, les conséquences négatives de l’inégalité ne touchent pas seulement les pauvres, mais les sociétés dans leur ensemble.
Les femmes, les jeunes, les personnes âgées, les migrants, les minorités, les personnes handicapées, tous ces groupes défavorisés, se trouvent en situation de plus grande vulnérabilité, sont discriminés et n’ont parfois qu’un accès limité aux droits et aux services.
Nous avons un besoin urgent d’investissements proactifs dans le développement social et humain qui permettent l’émancipation de tous les individus, afin que chacune et chacun soit en mesure d’exercer le droit de disposer de son corps et d’être acteur ou arbitre de sa vie et de ses choix.
Du fait des mesures qui aujourd’hui, pèsent sur les systèmes de protection sociale en Europe, seules des sociétés plus inclusives, justes et équitables permettront de faire face aux défis économiques, sociaux, environnementaux ou démographiques.
Les dirigeants seraient dans l’erreur s’ils voulaient hiérarchiser les enjeux : à trop regarder seulement les chiffres de la croissance économique et mésestimer le développement humain, nous pourrions n’avoir ni l’un ni l’autre.
C’est donc bien une approche globale dont l’Europe a besoin et dans cette perspective, l’égalité entre les femmes et les hommes doit être intégrée partout, dans toutes les politiques et tous les domaines de manière transversale, et faire dans le même temps l’objet d’actions spécifiques pour rattraper le retard et permettre le plein développement de nos sociétés. Je vais illustrer, à partir de l’exemple de la France, des conditions permettant l’exercice de choix.
Pour ce qui est de la France aujourd’hui, la volonté est de véritablement transformer les politiques publiques en posant l’égalité entre les femmes et les hommes comme une priorité politique.
L’importance de l’égalité des sexes est soulignée par sa prise en compte dans le programme d’action de la CIPD et dans les objectifs du millénaire pour le développement et comme une condition pour atteindre les autres objectifs.
Pourtant, les discriminations envers les filles et les femmes, la violence sexiste, les discriminations économiques, les atteintes à leur santé sexuelle et reproductive restent la plus répandue et la plus persistante des inégalités dans tous les pays.
Partant de ces constats, en France, on assiste à une nouvelle donne : le Gouvernement s’est engagé à refaire de la question des droits des femmes une politique publique à part entière et non une simple question périphérique.
Si les droits des femmes redeviennent un enjeu central et transversal, cela nécessite un changement de méthode et un changement de rythme que l’on observe dans plusieurs champs :
1. Un investissement personnel des ministres,
2. La mise en place de hauts fonctionnaires à l’égalité dans chacun des ministères,
3. La désignation de référents dans les cabinets ministériels,
4. La réunion d’un comité interministériel pour les droits des femmes qui a établi une feuille de route à suivre pour chaque ministère,
5. La mise en place de nouvelles études d’impact genrées pour les textes législatifs et réglementaires.
Il s’agit là de changer le mode de fonctionnement de l’Etat, afin que chaque politique publique intègre l’exigence d’égalité de fait entre les femmes et les hommes.
Mais aussi et avant tout l’Egalité de droits pour lutter contre la pauvreté et les violences envers les femmes puisque dorénavant, l’éducation sexuelle est enseignée à l’école, la contraception libre et gratuite est effective pour les jeunes et les femmes et les jeunes filles peuvent décider librement d’avorter et si l’IVG pose problème pour les plus pauvres, cet avortement est remboursé à 100%. Il existe donc un environnement permettant le choix.
Ces engagements sont fondamentaux en matière de justice sociale et de respect des droits des personnes ; et pour rejoindre les débats d’hier, cela a une incidence positive sur la fécondité, puisque la France a le 3ème meilleur taux de fécondité des femmes en Europe !
De la même manière, est étudiée aujourd’hui l’extension du congé parental d’éducation aux pères, qui constitue une mesure d’incitation pour poser les choix qui leur conviennent.
Toujours dans un souci d’intégration sociale et de respect des droits humains, l’orientation sexuelle a été actée par une loi qui a autorisé le mariage et l’adoption entre couples de même sexe.
Une nouvelle structure de gouvernance vient de voir le jour. La transversalité de la question de l’égalité entre les femmes et les hommes est un des ressorts majeurs de la création du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes en France, en janvier 2013, par le Président de la République. Cette instance consultative indépendante est un outil et atout de la nouvelle donne française au regard de ses quatre missions principales :
Faire vivre l’exigence d’égalité dans tous les domaines : notre mission, y compris dans nos politiques d’aide au développement.
Aujourd’hui, la France a décidé d’aller plus loin en matière de relations internationales. Alors que dans les enceintes multilatérales les engagements du Caire sont régulièrement remis en cause, la France refuse que les relativismes culturels et les intégrismes religieux puissent remettre en cause le caractère universel des droits humains que sont les droits des femmes.
En effet, comment lutter efficacement contre toutes les formes de violence si les femmes et les filles ne peuvent pas exercer librement leur droit d’accéder à des services de planification familiale. Car il n’y a pas d’égalité de droits sans véritable autonomie des femmes dans tous les domaines et cette autonomie n’a de réalité que si elle englobe le droit à disposer de son corps et à décider librement d’un avortement.
C’est pourquoi, à l’occasion des grandes réunions du programme de développement dès 2014, il est indispensable que les gouvernements adoptent une approche plus pragmatique et non idéologique sur la question de l’avortement et en premier lieu sa dépénalisation et sa légalisation, pour aller jusqu’au bout des engagements de la CIPD.
Partout dans le monde y compris en Europe, les besoins et les droits humains des jeunes filles et des femmes doivent être traitées de tout urgence, c’est une question de cohésion et de justice sociale, c’est aussi une des conditions du développement durable.
Il n’est plus besoin, en effet, de faire la preuve qu’investir dans la santé et l’éducation, des filles et des femmes en particulier, permet de briser durablement le cercle vicieux de la pauvreté !
C’est la raison pour laquelle ces sujets doivent aujourd’hui quitter le domaine technique comme cela a déjà été affirmé hier, car ils exigent un nouveau dialogue politique sur la scène internationale ».