Les Rencontres de l’Egalité, organisées par le HCEfh le 5 novembre à Paris, ont rencontré un vif succès : plus de 200 personnes ont répondu présentes aux trois tables rondes sur "La France, l’Europe et le système prostitutionnel".
A l’occasion de ces Rencontres, le Haut Conseil à l’Egalité a rendu public son Avis sur la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, qui sera examinée à l’Assemblée nationale les 27 et 29 novembre prochain.
L’Avis dans son intégralité est disponible ici.
Retrouvez le discours d’ouverture de Danielle Bousquet, Présidente du Haut Conseil :
Bonjour à toutes et à tous,
Je suis particulièrement heureuse et honorée d’ouvrir ces Rencontres européennes de l’Egalité, et je remercie l’Assemblée nationale de nous accueillir. Je salue la présence d’Yvette Roudy, 1ère ministre des Droits des femmes en France, et celle des parlementaires nombreux qui sont dans la salle et au premier rang desquels les deux Présidentes des Délégations aux droits des femmes et à l’égalité de l’Assemblée nationale et du Sénat : Catherine Coutelle et Brigitte Gonthier-Maurin.
C’est avec beaucoup de plaisir que j’adresse mes salutations à la députée Marie-Jo Zimmermann qui a fait un travail très important à la Délégation aux droits des femmes ainsi qu’à l’Observatoire de la parité.
Je remercie également M. l’Ambassadeur de Suède ici présent, ainsi que les ambassades de la Roumanie, de la Pologne, de la République Tchèque, de Malte, ou encore la Délégation générale du Québec à Paris qui nous font l’honneur de participer à ces rencontres.
Je salue également Fatima Lalem, adjointe au Maire de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes, Danièle Jourdain-Menninger, Présidente de la MILDT, ainsi que les différentes administrations et associations ici représentées. Je voudrais aussi bien entendu saluer le courage des personnes qui sont sorties de la prostitution et qui ont apporté leur témoignage à diverses reprises aussi douloureux que cela ait pu être pour elles, et je les en remercie.
Je remercie par ailleurs le ministère des Droits des femmes pour son soutien logistique à cet événement.
Je tiens enfin à remercier chaleureusement toutes les personnes présentes ce soir dans la salle. Par votre présence et l’intérêt que vous portez à la question qui nous rassemble aujourd’hui, vous affirmez que la question de la prostitution est politique.
Aurions-nous pu imaginer il y a 50, 40 ou même 30 ans que le législateur se saisisse de la question des violences faites aux femmes que ce soit les violences conjugales, le viol entre époux, le harcèlement ou aujourd’hui la prostitution ? La frontière public-privé a dû être remise en cause avant qu’une action publique ne vienne s’attaquer à des situations de domination et de violences contraires à nos principes démocratiques et républicains. Certains voudraient voir dans la prostitution aujourd’hui une affaire privée ou le législateur n’aurait pas à intervenir. Mais non ! Le slogan « Le privé est politique » porté par les féministes résonne aujourd’hui de toutes ses forces.
N’en déplaise à ceux qui se débattent, dans un dernier sursaut, pour rester accroché à des privilèges de plus en plus archaïques : le corps des femmes n’est pas à vendre et tout ne s’achète pas. L’existence du système prostitutionnel n’est pas dû à une nécessité sociale, mais à nos représentations sociales, profondément inégalitaires, qui autorisent les hommes à s’approprier le corps de femmes quand ils en ressentent le besoin. La prostitution est une des formes les plus manifestes de la domination qui s’exerce sur les femmes, et qui génère les inégalités que nous combattons au quotidien. Ce sont en effet 80 à 90% des personnes prostituées qui sont des femmes, alors que la quasi-totalité des clients sont des hommes. Les rapports violents et inégaux qui caractérisent la prostitution, et les représentations qu’elle véhicule, constituent un obstacle majeur à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Si nous revendiquons à nouveau aujourd’hui la France abolitionniste, c’est pour affirmer que nous refusons la réglementation et donc la légitimation par l’Etat de la prostitution, que nous voulons mettre l’accent sur la prévention de la prostitution et sur la réinsertion des personnes prostituées, que nous voulons faire en sorte que rien ne fasse obstacle à une société libérée de la prostitution. Et cela, c’est aussi l’ambition de la France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La France est devenue abolitionniste en choisissant de fermer les maisons closes en 1946 et en ratifiant, en 1960, la Convention de l’ONU de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui.
Et pourtant, en ce début du 21ème siècle la prostitution et les trafics qui lui sont intimement liés ont atteint des proportions inédites dans l’histoire de l’humanité. De nos jours, il y a davantage de personnes vendues, achetées ou transportées à des fins d’exploitation sexuelle qu’en 300 ans d’esclavage. C’est ce qu’indique le Conseil du statut de la femme au Québec, dans un avis rendu en 2012 (en quelque sorte l’homologue du Haut Conseil au Québec).
« On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours. Mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution »
Comment ici, à l’Assemblée nationale, et précisément dans cette salle, aurais-je pu ne pas citer ces paroles de Victor Hugo. C’était il y a plus de 150 ans ! 150 ans ! Et nous devrions ne pas agir ? Et nous devrions céder à l’argument de « ce n’est pas le bon moment », « ce n’est pas la priorité », « la société n’est pas mûre » ?
Ce n’est jamais le bon moment. Il y a toujours plus important. Et pourtant, les parlementaires et le Gouvernement ont décidé que novembre 2013 était le bon moment.
Et pour cause, le travail associatif, politique et parlementaire ne date pas d’hier, et toutes les étapes préalables à ce qu’un texte puisse aujourd’hui voir le jour ont été respectées :
Suite à ce travail intense, transpartisan, et continu, le moment d’agir est venu, et le Haut Conseil à l’Egalité femmes-hommes que je préside se réjouit donc du dépôt et de l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi n°1437 renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Je loue à titre personnel le travail remarquable engagé sur ce texte par Maud Olivier, Catherine Coutelle et Guy Geoffroy. Nous ne pouvons qu’apprécier l’esprit d’ouverture démocratique de ces parlementaires. Ces Rencontres européennes de l’Egalité aujourd’hui ont pour but de faire partager l’Avis du Haut Conseil et d’apporter un éclairage européen à la représentation nationale sur le système prostitutionnel. Nous voulons aussi faire le pont entre la société civile et le travail parlementaire en ouvrant au public ces rencontres. Quel beau symbole que cette Assemblée nationale ouverte pour une position abolitionniste de la France qui doit irriguer la société : les faits doivent être connus, les arguments et les principes d’action doivent être compris. Nous sommes en train de mener, n’ayons pas peur des mots, une véritable bataille culturelle.
Refuser la fatalité qui voudrait que nous ne puissions pas nous libérer de la prostitution, c’est montrer que nous pouvons avoir prise sur le cours des choses. C’est redonner du crédit à l’action publique.
De la méconnaissance il ne peut sortir que le fatalisme. Nous invitons donc l’opinion à un débat éclairé par la réalité de la prostitution aujourd’hui. Ainsi chacun et chacune prendra une position en conscience. La nôtre est claire et nous conduit à promouvoir la construction d’une société à terme libérée de la prostitution, où l’appartenance à un sexe n’engendre aucune entrave à son émancipation, et où la sexualité est libérée et fondée sur le désir partagé et réciproque.
Le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, instance consultative indépendante placée auprès du Premier ministre, a adopté hier à l’unanimité moins une voix un Avis favorable à la proposition de loi n°1437. Cela marque un moment important de notre jeune institution.
Je laisserai le soin à Ernestine Ronai (et Elisabeth Moiron-Braud), co-présidentes de la Commission Violences de genre du HCE, commission saisie au fond sur ce texte, de détailler notre avis ainsi que les recommandations que nous formulons pour renforcer encore davantage cette proposition de loi.
Nous donnerons ensuite la parole à Maud Olivier, Rapporteure de la Commission spéciale en charge de l’examen du texte, avant de laisser place aux trois tables rondes sur l’éclairage européen indispensable sur cette question. Notamment, et suite aux inexactitudes et aux contre-verites qui nous sont assennees, la verite des faits sera retablie sur le modele suedois.
Je vous remercie une nouvelle fois pour votre présence et laisse la parole à Madame Ernestine Ronai.
Danielle BOUSQUET, Présidente du HCEfh