Comme à chaque rentrée, les élèves remplissent leur cartable de manuels pour la nouvelle année. Mais les manuels scolaires ne sont pas aujourd’hui les seuls outils éducatifs à la disposition des enseignant-e-s. Et l’arrivée du numérique, si l’on a encore du mal à en voir sa traduction concrète dans les salles de classe, va potentiellement renouveler et étendre les supports éducatifs.
Le Ministère de l’Education Nationale lance à la rentrée 2013 un plan « Faire entrer l’école dans l’ère numérique », échelonné jusqu’à 2017, pour développer le numérique à l’école. Depuis 2009, l’équipement des écoles et établissements scolaires français a déjà entamé sa progression : de plus en plus de classes sont ainsi équipées en Tableau Numérique Interactif (TNI) : 11% de classes équipées en 2011 contre 6% en 2009. La généralisation du cahier de texte en ligne en 2010, a permis également une nette augmentation de l’équipement des Écoles en environnement numérique de travail (ENT) : 65-70% des établissements scolaires en sont équipés en 2011 contre 41% en 2009.[1]. Un développement qui ne peut que s’accélérer au vu des usages des élèves et donc des futures générations d’enseignant-e-s : en 2013, 99% des 12-17 ans se disent internautes, 80% des moins de 5 ans utilisent Internet 1 fois par semaine[2].
Le numérique est déjà partout : images, vidéo, jeux, applications, tout ce qui arrive sur nos écrans contient bien souvent des représentations qui reflètent et renforcent les inégalités entre les sexes tout autant que d’autres supports. Le développement du numérique ne pourra donc échapper à la vigilance de celles et ceux qui œuvrent à une éducation à l’égalité entre les filles et les garçons. En tant qu’institution de la République, l’école doit veiller à enrayer la reproduction des stéréotypes, dont résultent les inégalités. Le lancement, cette rentrée, des ABCD de l’égalité est signe d’une dynamique dans le sens d’une égalité durable entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes. Nul doute que l’« E-éducation », à la fois au et par le numérique, apparaitra comme un levier important pour atteindre cet objectif.
L’E-éducation concerne donc à la fois les contenus et les usages.
Des contenus, nous attendons de certains qu’ils soient spécifiquement dédiés aux questions de l’égalité, mais surtout que tous mettent concrètement en œuvre cette égalité, par la valorisation et la visibilité des filles et des femmes, et l’élimination des stéréotypes sexués. Cela passera par une réflexion menée de concert par les acteurs de la filière du numérique et les experts de l’égalité femmes-hommes sur la teneur en stéréotypes des documents. Les manuels scolaires véhiculent encore des stéréotypes sexués, et l’on y constate toujours un déséquilibre entre les représentations de femmes et d’hommes[3]. Des tablettes numériques aux Tableaux Numériques Interactifs (TNI), en passant par les jeux éducatifs sur internet, de nouveaux supports appellent à une révolution des contenus numériques. Ces contenus qui restent donc pour la plupart à inventer représentent une formidable opportunité d’avoir une longueur d’avance sur les stéréotypes sexués.
A l’image des grilles de critères utilisées pour les études qui se sont penchées sur les manuels scolaires, nous avons les outils pour repérer les stéréotypes sexués. Anticiper la reproduction de ces stéréotypes suppose aussi que l’industrie du numérique se penche sur ces problématiques, comme elle a déjà commencé à le faire avec la création de serious game, ces « jeux à vocation éducative qui combinent scénario ludique et scénario pédagogique ou utilitaire[4] », dont certains sont déjà utilisés dans le monde de l’entreprise pour favoriser une gestion des ressources humaines plus égalitaire.
En forte croissance, la filière numérique représentait 3,2 % du PIB en 2009 en valeur ajoutée, (60 milliards €) et en représenterait 5,5 % d’ici 2015 (soit 130 milliards €). Elle représenterait d’ores et déjà 1,15 million d’emplois.[5]. Les femmes gagneraient donc à être plus présentes, dans un secteur où elles ne représentent que 28% des professionnel-le-s du numérique[6]. Mais l’orientation des filles souffre encore des stéréotypes qui ne les encouragent pas vers ces carrières scientifiques : encore une fois, apparait ici l’importance d’une approche intégrée et globale de l’égalité de femmes-hommes, y compris dans le numérique.
Des usages, nous savons qu’ils passent par la formation, afin que les bonnes intentions ne restent pas lettre morte. L’égalité femmes-hommes et à l’Education aux Médias et à l’Information (EMI)[7] doivent être des disciplines incontournables de la formation des enseignant-e-s, en lien avec les avancées de la recherche universitaire. La convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif signée pour la période 2013-2018 a été l’occasion d’inscrire l’éducation à l’égalité » au cœur de la formation des futur-e-s enseignants, dont l’« E-éducation » à la fois au et par le numérique, doit faire partie. Les nouvelles Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) devront s’en faire la traduction.
Le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCEFh) souhaite interpeller, avec ses partenaires travaillant sur ces questions, tous les acteurs de l’éducation et du numérique, en se faisant régulièrement l’écho des initiatives dans le sens d’une « E-éducation à l’égalité » qui existent déjà et qui se mettront en place avec cette nouvelle rentrée scolaire. Cet axe de travail commence aujourd’hui par les entretiens avec deux spécialistes : Djénéba Keita, présidente du Centre Hubertine Auclert qui a mené depuis longtemps un travail sur les manuels scolaires et a lancé cet été son cycle « Hubertine est une geek », et Fanny Lignon, chercheure au sein du laboratoire Arias – Université Lyon 1, membre du groupe de recherche Genre, Egalité, Mixité (GEM) et spécialiste des représentations du masculin et du féminin dans le numérique.